La terre entière
Lilith

Sylvie de Meurville fait partie des artistes qui retrouvant certains gestes marquants des avant-gardes des années 1970, les détournent et les réemploient à d'autres fins. Abstraction analytique, minimalisme et, pour ce qui la concerne, land art auquel elle emprunte le travail direct dans la terre, la grande dimension du paysage, l'usage de machines-outils pour la réalisation formelle. A partir de ces éléments, Sylvie de Meurville construit un autre propos. Elle abandonne la réflexion analytique, le concept organisateur ou le principe philosophique pour user du sens symbolique, de la construction narrative ou de la charge poétique. Elle propose de parcourir une immense silhouette humaine creusée dans le sol et sur laquelle on peut encore lire les marques des pneus de l'engin qui l'a produite, obligeant à socialiser, à se "distancier" des notions originelles et identitaires de la trace. Elle installe également dans son ouvre un film vidéo, qui relativise la notion de nature première, clin d'oil au thème du paradis perdu, de l'Eden dont Lilith est chassée. Chez elle la nature n'a pas d'existence sans représentation. Pratiquant une singulière synthèse formelle entre le land art, l'arte povera et peut-être l'art corporel, Sylvie de Meurville invente en utilisant de la façon la plus libre les manières et les sujets. Elle emploie les vocabulaires qu'elle choisit pour créer le sien, mettant en scène, avec cette ouvre, les questions de la séparation, du lien impossible, de la fusion, du désir et de la nostalgie, autant de sentiments humains qui, souvent, ont eu une expression intimiste comme chez Anna Mandieta et qui trouvent, ici, une forme à l'échelle du paysage. Ce qui, chez Anna Mandieta, est huis clos, scène de confidence, de drame individuel induisant la menace, la blessure ou la mort, est, chez Sylvie de Meurville, transfiguré par la nature, parcouru par des forces naturelles ou mécaniques, par le passage des éléments, par les dimensions qui en font un espace collectif mais surtout offrant au spectateur un espace épique, c'est-à-dire construit par l'entrelacs des énergies et le travail modificateur du présent. Son ouvre appartient plus au cosmos, à la planète qu' à la biographie. L'ouvre de Sylvie de Meurville rejoint ainsi les préoccupations de certains artistes comme Boeti ou de poètes comme W.C. Williams ou T.S. Eliot qui exprimant les sentiments les plus personnels, ne le faisaient qu'à travers des situations où, plus que leur propre corps, ils habitaient la terre entière.

Olivier Kaeppelin, catalogue "Les environnementales", 2004.

 
Sylvie de Meurville

Bibliographie